L’artiste allemand Gregor Hildebrandt (1974) expose pour la première fois à la galerie Mezzanin dans le Quartier des Bains à Genève et c’est tout son univers musical qui se décline sur chacune de ses oeuvres.
A cette occasion, l’artiste transforme l’espace d’exposition de manière radicale et le scinde en deux parties architecturales distinctes ou la paroi de séparation est totalement recouverte de bandes magnétiques audio. On se rappelle vaguement ces fins rubans de film plastique qui permettaient l’enregistrement et la lecture d’informations sonores. A l’heure du numérique, les cassettes audio ou video sont rendues obsolètes et la dématérialisation caractérise cette nouvelle ère quelque peu amnésique des anciens moyens de reproduction audio-visuelle. C’est ce travail de mémoire que Hildebrandt vient activer avec son installation. Entre nostalgie et appropriation, les oeuvres de l’artiste réinterprétent la fonctionnalité même de l’objet pour en développer le fort potentiel esthétique.
All installation views ©Annik Wetter
Andy Warhol Uhr (Bowie), 2025: L’envers du décor
Stefan, l’assistant de Gregor Hildebrandt, est un véritable amateur d’horlogerie. Comme il suit constamment les ventes aux enchères à la recherche de montres rares, il imagine presque toujours à qui, parmi ses proches ou collègues, chaque pièce pourrait correspondre. Un jour, il découvre la Piaget « Andy Warhol », dotée d’un cadran en œil-de-tigre, et pense tout de suite à Gregor qui est un grand admirateur de Warhol et qui a déjà travaillé avec l’oeil de tigre.
Avec humour, Stefan annonce à Gregor qu’il a déniché une montre pour lui – une pièce affichée à 56 000 CHF. Gregor, intrigué, déclare alors qu’il en fera une œuvre.
Les bandes magnétiques audio constituent la signature artistique de Gregor. Pour cette raison, ses assistants se sont penchés sur les bandes et sur leur manière d’être agencées, afin d’imiter les nuances de l’œil-de-tigre et de reproduire au mieux son motif caractéristique. Ils ont effectué différentes expérimentations de couleurs à partir des bandes, tout en testant la texture et l’orientation des stries, de façon à obtenir un jeu de lumière cohérent avec ces essais. Une partie de ces étapes est visible dans les « bandes d’essai » exposées à la galerie. L’œuvre achevée, Andy Warhols Uhr (Bowie), constitue l’aboutissement remarquable de ce travail exploratoire.
Pour réaliser la pièce de grande dimension und wieder Augen wie Bernstein (encore une fois des yeux couleur ambre), cinq cadrans issus de diverses horloges Andy Warhol – choisis pour la grande quantité de noir qu’ils comportaient dans leur œil-de-tigre – ont été sélectionnés comme fondement du dessin linéaire de l’œuvre.
Les bandes de cassettes utilisées intègrent des passages de la chanson « Andy Warhol » de David Bowie (1971), un artiste que Gregor Hildebrandt admire profondément.
Andy Warhols Uhr (Bowie), 2025
audio cassette tape, acrylic gesso on canvas
40,2 x 40,1 cm
Warhol et la maison Piaget
La montre Piaget le plus souvent associée à Andy Warhol est un modèle au style Art déco marqué : un imposant boîtier coussin de 45 mm en or jaune, orné de godrons en gradins, avec un cadran gris anthracite. Le modèle, dépourvu de nom officiel, fut produit en quantité limitée entre 1972 et 1977, en or blanc ou jaune. Warhol en fit l’acquisition en 1973.
Selon Jean-Barnard Forot, responsable du patrimoine chez Piaget, la maison a toujours proposé une grande variété de montres, y compris des pièces joaillières aux formes très diverses – ellipses, ovales, hexagones, etc. Au début des années 1970, Piaget met au point cette montre coussin, volontairement rétro dans son esthétique. L’un de ces exemplaires fut acheté par Andy Warhol, ce que la marque ignorait alors. Lors d’une rencontre ultérieure entre Yves Piaget et Warhol, ce dernier réalisa soudain que l’artiste portait justement ce modèle.
L’exposition est à découvrir jusqu’au 28 février 2026 à la galerie Mezzanin.
Gregor Hildebrandt
Manchmal sehn ich mich nach einem fremdem Leben
©Annik Wetter